Fragile crépuscule [Seiji]

Les paupières battantes, les membres engourdis, je m'éveillais lentement. Une douleur aigüe m'arracha une grimace, elle me fit peu à peu sortir de la brume dans laquelle je m'étais plongée la veille. Une kyrielle de sons m'agressa les tympans tandis que j'essayais de me relever avec difficulté, avant de percuter un élément dur. Je levais les yeux, avant d'apercevoir un toit gris et froid, un peu comme du métal. Je murmurais un juron typiquement féerique en voyant des barreaux m'entourer et des chaînes me serrer les poignets et les chevilles. Elles laissaient une marque rouge sur ma peau, et l'échauffaient fortement lorsque je tentais de me libérer. Dehors, le soleil commençait à se coucher, baignant la boutique dans une jolie lumière orangée. Un peu plus, et ce serait la nuit. Elle apporterait son lot de calme, et ce moment sera le plus propice pour que je puisse me servir de mes pouvoirs. Seulement, je savais que les vendeurs n'étaient pas dupes, et redoutant d'être déçue, je me concentrais pour prendre possession du corps du marchand. Une barrière magique me bloqua l'accès à l'air ambiant, ce qui était nécessaire pour que mon esprit se fasse un chemin vers le corps souhaité. Je fronçais les sourcils, et me détendais. Inutile de réessayer, puisque comme je l'avais pensé, mes barreaux étaient faits d'un certain matériel inconnu qui stoppait les vibrations émises lors de l'utilisation de mes dons.

J'étais vêtue d'une robe très longue, et de couleur chair, qui me paraissait assez hideuse, que ce soit sur moi ou les autres fées de tous gabarits qui étaient elles aussi maintenues en captivité. Je m'adossais contre le mur de la Grotte à Fées qui jouxtait ma cage en fixant le sol jonché de poudre brillante pour réfléchir à ma situation. Perdue dans mes pensées, ce fut la galette sèche envoyée par le vendeur qui me tira de ma rêverie. Sans plus attendre, je croquais dedans, mais avec prudence, Dieu savait que certaines choses qu'on proposait aux esclaves n'étaient pas forcément très ragoûtantes. J'avais pu me souvenir de ma capture, et du coup que j'avais pris sur la tête, endroit où fleurissait donc une superbe bosse, heureusement dissimulée par mes cheveux. Ceci expliquant cela, ma perte de connaissance avait fait disparaître mes ailes, cela n'arrivait que dans certains moments bien précis. Je bus dans le bol d'eau, et reprenais mon festin avant d'entendre le tintement d'une cloche. Interpellée, je dirigeais mon regard vers la porte pour voir qui pouvait bien venir à cette heure-ci, un morceau assez conséquent de galette entre les lèvres, prêt à être croqué et avalé.

Un tintement de cloche retentit au moment même ou il s'avança parmis les cages. Pour une fois, il savait ce qu'il voulait: une secrétaire. Il devait donc chercher une fée ayant avant tout les qualités de politesse et de patience. Le problème étant que ces qualités n'taient pas indiquées sur les cages, et il ne faisait absolument pas confiance aux commerçants sensés "l'aider". Il s'approcha donc d'une cage au hasard, et s'assit devant. Il allait tester les pensionnaires de la grotte un par un, ce qui allait pêut être prendre du temps. Le premier se révéla être une femelle, n'ayant pas fini ce qui ressemblait à un repas. Elle le regardait, probablement étonnée qu'une race dite supérieure s'abaisse à ce point par rapport à un esclave.

Bonjour. Je cherche une secrétaire. Pourriez vous, en quelques mots, m'informer si oui ou non vous vous pensez capable d'assumer ce rôle et si oui, il me faudra quelques arguments, si cela ne vous dérange pas.

Il était d'une politesse qui ne lui était pas habituelle, excepté dans tout ce qui concernait le travail. Et là, justement, cela avait trait de très près au travail. Il sourit, d'un de ses sourires cruels, qui montraient plus que tout autre sa personnalité de démon. Cependant, dans ce sourire, il y avait quelque chose de fifférent. Quelque chose qui signifiait qu'il ne risquait pas de s'emporter. En fait, c'était de l'amusement. Il jouait, et donc par stratégie, ne tuait pas si cela pouvait d'une façon ou d'une autre lui nuire. en ce cas précis, la fée ne risquait rien parce qu'elle était une éventuelle secrétaire, et parce qu'elle appartenait jusqu'à nouvel ordre au commerçant.

Bien entendu, il va de soi que cela signifie pour vous une nourriture et des vêtements acceptables. Vous aurez même pour le moment une pièce por vous. Mais j'attends vos arguments.

En les attendant, il scruta le visage de son interlocutrice, et regarda un peu les informations sur la cage. Utile, mais pas pour le travail qui lui serait demané. La prémonition pouvait l'aider à ne pas être débordée mais sans plus. La première impression n'était pas vraiment favorable, mais on ne savait jamais. C'était avant tout la politesse et l'obéissance qu'il recherchait.

Je regardais simplement ce qui semblait être un démon s'avancer entre les cages. Il ne m'intéressa au début pas plus que cela, et j'étais prête à reprendre mon repas, lorsqu'il s'assit devant moi. Je relevais la tête. Que voulait-il ? J'étais sûre qu'il allait me parler, alors j'attendis et j'écoutais, tout en le détaillant un peu plus. Il avait des cheveux mi-longs, bruns, il était plutôt mince, bref, un démon qui n'était pas aussi laid que certains de ses congénères. l'avais vu passer pas mal de maîtres, mais aucun n'avait jamais prit la peine de me poser une quelconque question, ce qui m'évitait à chaque fois de devoir surmonter ma timidité. C'était étonnée et en grignotant anxieusement mais proprement mon fade morceau de galette que j'évaluais les paroles de ce drôle de spécimen. Le fait qu'il me vouvoie et son ton me prouvaient son envie de bien choisir, alors je décidais de mettre de côté cette impertinence sournoise qui me collait à la peau afin de pouvoir sortir de cette cage, si possible.

Le travail de secrétaire me plaisait dans la mesure où je serais entourée de paperasse, et je ne pouvais qu'aimer cela. Lire était un passe-temps agréable, mais là, si on me gardait uniquement parce-que je prenais des appels et écrivais quelques petites choses ... C'était nettement préférable au ménage. Je me plantais à moitié, je ne savais en fait pas vraiment ce qui m'attendais, mais ça ne pouvait pas être pire que ce qui s'était passé avant. Et je m'en savais capable. Son sourire presque cruel, un sourire de démon, me donna envie de sourire à mon tour, mais beaucoup plus posément, d'un demi-sourire dont on usait et abusait, de ceux qui passent partout et qui ne révèlent pas grand-chose, si ce n'est un calme et une diplomatie feints. Je répondis du tac-au-tac, clairement, et sans vraiment me prendre la tête.

"Je peux lire, écrire, répondre aux appels, trier les dossiers, recevoir correctement les personnes, et pour peu que je sois à l'aise dans mon environnement, je peux satisfaire toutes les demandes."

Réalisant que je ne répondais qu'à moitié à sa question, je me rattrapais machinalement et comme si de rien n'était.

"À vous de voir si cela vous convient."

Je m'assis sur mes talons,assez éloignée des barreaux, droite, en fixant du regard l'être infernal, toujours souriante. Je ne me le serais pas permis si je ne savais pas pertinemment que je ne risquais rien derrière mes barreaux, et si il ne m'avait en quelque sorte rassurée grâce à sa façon de se comporter. Il avait des yeux sans pupilles apparentes, ce qui était particulièrement déstabilisant, mais je ne voulais pas le montrer. J'avais parlé en ne disant que le nécessaire uniquement, et sans chercher plus loin. Cela m'avait déjà demandé beaucoup d'efforts, je n'avais pas pour habitude de m'entretenir avec un inconnu de la sorte. Mais si cela pouvait me faire sortir de là et me promettre une situation confortable, ça ne me dérangeait pas. Puisque c'était dans mon intérêt.

"Je peux lire, écrire, répondre aux appels, trier les dossiers, recevoir correctement les personnes, et pour peu que je sois à l'aise dans mon environnement, je peux satisfaire toutes les demandes. À vous de voir si cela vous convient."

"Cela" lui convenait assez bien Qu'elle sache lire et écrire, ce n'était pas si rare en Esméria. Que les esclave se sentent à l'aise parmis les papiers, et soient disposés à obéir, était déjà moins courant, car une bonne partie étaient trop fiers pour accepter leur nouvelle condition. ependant, il n'avait pas envi d'accepter tout de suite. Il était évident que les qualités qu'elle lui avaiet montrées suffisaient, mais il y avait autre chose. Elle devait avoir de la répartie, e savoir se justifier, ce qu'elle n'avait pas fait.

C'est déjà bien. Mais ce que je veux savoir, ce sont les raisons que j'auraisà vous prendre, vous, plutôt qu'une autre. Je vous ai demandé des arguments. Quasiment tous les esclaves savent lire et écrire, ce n'est pas nouveau. Qu'avez vous de particulier?

Ce n'était pas très aimable de sa part, mais on ne pouvait attendre d'un démon qu'il soit sympathique, encore moins envers une fée. Il n'avait aucune raison de se montrer concilliant, aussi se contenta-t-il de fixer la jeune "Ellis" d'un air sérieux. Son sourire était toujours là, mais était moins conciliant. Si la fée n'était pas capable de trouver des arguments, elle risquait de se faire manipuler par les clients et, tant qu'à faire,il préférait quelqu'un capable d'envoyer promener les importuns qu'une personne incapable de faire attendre des clients impatients s' était en retard.

Si je n'ai pas de raison de vous prendre, je peux tout à fait me lever et aller voir quelqu'un d'autre. A vous de voir, si cela vous convient.

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